Mardi soir, 22h30.
Une chef de service du médico-social répond à ses mails depuis son canapé.
Elle n’a pas fini sa journée. Elle la continue.
On les dit privilégiés. Bureau, salaire fixe, statut.
Mais derrière cette façade, une réalité s’impose : les cadres sont devenus les amortisseurs silencieux d’un système qui ne ralentit jamais.
Disponibles. Connectés. Débordés.
Autonomes sur le papier, prisonniers dans les faits.
L’autonomie a remplacé le contrôle.
Mais elle a surtout remplacé la limite.
Et quand le travail n’a plus de bord, la fatigue devient structurelle.
💬 L’autonomie qui épuise
La plupart des cadres travaillent sans horaires, mais pas sans contraintes.
La mission continue hors du bureau, hors du temps, parfois jusque dans la nuit.
Les chiffres parlent :
- 40 % des cadres dépassent 45 h par semaine (APEC, 2023)
- 1 cadre sur 3 signale troubles du sommeil ou de concentration
Ce ne sont pas des caprices de « privilégiés stressés ».
C’est une fatigue d’attention et de responsabilité, un épuisement professionnel discret, souvent intériorisé.
Beaucoup se sentent redevables de leur statut.
Alors ils compensent : en restant connectés, en répondant toujours, en s’effaçant un peu plus chaque semaine.
Origine du mot “autonomie” : du grec autonomia (autos, soi-même + nomos, loi).
Littéralement : “se donner sa propre loi”.
Mais dans le travail contemporain, l’autonomie est devenue hétéronome : on décide comment faire, mais rarement quoi, pourquoi ou jusqu’où.
🧠 Ce que disent les neurosciences
Sonia Lupien (Université de Montréal) parle de stress allostatique : un état d’adaptation prolongée où le cerveau ne revient jamais complètement au repos.
L’efficacité se maintient… jusqu’à la panne.
Le cortex préfrontal (prise de décision, régulation émotionnelle) est le premier à saturer : irritabilité, difficulté à prioriser, rumination nocturne.
Ce n’est pas de la faiblesse. C’est de la neurobiologie.
⚖️ La souffrance éthique : quand on ne peut plus bien faire
Cette fatigue frappe tous les secteurs.
Les cadres de santé, les chefs de service, les coordinateurs associatifs, les enseignants référents… décrivent la même spirale :
Moyens contraints. Exigence accrue. Pression de « tenir » le collectif.
Ceux qui ne s’effondrent pas s’usent lentement.
Christophe Dejours parle de souffrance éthique : quand on ne peut plus garantir un travail bien fait, on perd le sens du métier.
Et quand le sens s’éteint, l’énergie suit.
Dans le médico-social, j’ai vu des cadres brillants partir en burn-out non pas parce qu’ils travaillaient trop, mais parce qu’ils ne pouvaient plus protéger leurs équipes.
🧠 Ce que disent les neurosciences
La souffrance éthique active les mêmes circuits cérébraux que la douleur physique (cortex cingulaire antérieur).
Quand on ne peut plus “bien faire”, le cerveau l’interprète comme une menace à l’identité professionnelle.
Résultat : épuisement émotionnel, perte de sens, désengagement.
🧭 Devenir encadrant : changer de métier, pas de grade
Encadrer, ce n’est pas “monter” dans la hiérarchie.
C’est changer de geste professionnel.
On passe :
- Du geste technique → au geste relationnel
- Du geste individuel → au geste collectif
- De l’exécution → à la régulation
Mais ce nouveau geste ne s’improvise pas.
On promeut encore des techniciens compétents sans leur donner les outils pour devenir régulateurs, médiateurs, soutiens.
Origine du mot “supervision” : du latin super (au-dessus) + videre (voir).
Littéralement : “voir d’en haut”.
Superviser, c’est permettre de voir ce qu’on ne voit plus quand on est immergé.
🌱 Du cadre au facilitateur : fluidifier, pas contrôler
Le management du XXIᵉ siècle n’est plus celui des ordres, mais de la circulation.
Le cadre devient facilitateur :
- Il fluidifie les échanges
- Il soutient la coopération
- Il garantit la clarté du cap
Son autorité ne vient plus de sa place dans l’organigramme, mais de sa capacité à relier.
Amy Edmondson (Harvard, 2018) montre que les équipes les plus performantes sont celles où l’on peut parler sans peur.
C’est la sécurité psychologique.
🧠 Ce que disent les neurosciences
La sécurité psychologique repose sur la régulation du système nerveux autonome.
Dans un environnement perçu comme sûr, le nerf vague ventral s’active : meilleure communication, créativité, coopération.
À l’inverse, la peur chronique fige les équipes.
(Porges, théorie polyvagale, 2011)
🧩 Penser en tridimensionnel, pas en vertical
Encadrer ainsi, c’est passer du vertical au tridimensionnel.
On ne pense plus en termes de “haut” et “bas”, mais de flux et de responsabilité partagée.
- Le professionnel de terrain est responsable de son geste
- L’encadrant rend ce geste possible
Il ne tire pas la charrette : il graisse les roues.
Frédéric Laloux (Reinventing Organizations, 2014) et Isaac Getz (Liberté & Cie, 2012) ont montré que les organisations durables sont celles où le management devient un service, non une domination.
🎓 Former à encadrer : un enjeu stratégique
La France forme encore trop à la gestion, pas assez à la relation.
Or, la prévention de la souffrance passe par la régulation, la parole, la coopération.
Un encadrant formé est un régulateur de santé mentale du collectif.
Richard Boyatzis parle de leadership empathique : une posture d’écoute et de clarté émotionnelle qui protège les équipes et stabilise la performance.
Former à encadrer, ce n’est pas du “soft skill” secondaire.
C’est la colonne vertébrale de la durabilité organisationnelle.
⚙️ Conclusion : tenir avec, pas malgré
Les cadres ne sont pas les privilégiés qu’on imagine.
Ils sont souvent les amortisseurs silencieux d’un système qui va trop vite, trop fort, trop longtemps.
Les voir, les comprendre, ce n’est pas les plaindre : c’est reconnaître que la durabilité du travail passera par eux.
⚡ Et un amortisseur, à force d’amortir, ça finit par lâcher.
Encadrer, aujourd’hui, ce n’est plus tenir les autres.
C’est tenir avec eux.
Et peut-être que la prochaine révolution du travail ne viendra pas des outils…
mais des facilitateurs du sens.
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📖 Articles complémentaires
Sur le blog :
- La gentillesse, force oubliée du management
- Sommeil et rentrée : gérer le stress du retour
Sur le site principal :
- TCC & régulation émotionnelle
- Méditation & pleine conscience
- Formations professionnelles
❓ FAQ — Encadrement et épuisement professionnel
Quels sont les premiers signes d’épuisement ?
- Difficulté à déconnecter
- Irritabilité, troubles du sommeil, perte de sens
👉 Si ces signaux persistent > 3 semaines, un accompagnement s’impose.
Quelle différence entre burn-out et souffrance éthique ?
Le burn-out est un épuisement émotionnel et physique.
La souffrance éthique apparaît quand on ne peut plus bien faire son travail selon ses valeurs.
Les deux se renforcent mutuellement.
Comment former les cadres à la régulation d’équipe ?
Combiner neurosciences, outils concrets et supervision de terrain.
La méditation ou la sophrologie peuvent-elles aider ?
Oui, pour réguler le stress, améliorer l’attention, restaurer le sommeil et renforcer la présence.
📚 Références bibliographiques
Études et rapports :
- APEC (2023) – Enquête sur les conditions de travail des cadres
- Eisenberger & Lieberman (2004) – Trends in Cognitive Sciences
- Porges (2011) – The Polyvagal Theory
Ouvrages :
- Dejours (1998) – Souffrance en France
- Edmondson (2018) – The Fearless Organization
- Getz & Carney (2012) – Liberté & Cie
- Laloux (2014) – Reinventing Organizations
- Mintzberg (1973) – The Nature of Managerial Work
Travaux :
- Boyatzis & McKee (2005) – Resonant Leadership
- Lupien – Travaux sur le stress allostatique
Auteur : Cédric Maillot-Juillet
Centre de Thérapie Brève Nice Europe
👉 cedricmaillotjuillet.net